J’avalais les projets, les défis et les idées comme une baleine engloutit le phytoplancton. Aujourd’hui, la sonnerie de mon téléphone me donne la frousse et rencontrer des gens, même mes proches, me demande un effort surhumain. Pourquoi? Diagnostic de trouble bipolaire en novembre 2018, hospitalisation d’une semaine en étage psychiatrique (y a des gens plus bizarres que moi) pour idées suicidaires avant le temps des fêtes à cause d’effets secondaires de médication, puis adaptation à la nouvelle médication. Un topo que vous connaissez peut-être.
Je vous raconte ici mon histoire en bref (bon ok moi et le bref, on ne s’entend pas et c'est moi qui gagne hehe). Je vous invite à partager la vôtre si cela vous le dit. Mon psychiatre affirme que mon humour a été le meilleur ingrédient qui m’a permis de traverser plus de 20 ans de trouble bipolaire avant le diagnostic. Encore heureuse, mais ces temps-ci, il sort rarement le bout du nez. Quoique…pour Noël (j’ai réussi à sortir de l’hôpital à temps), ma mère m’a offert un beau pyjama avec des ours polaires…et moi, devant toute la famille, j’ai fait LA blague d’autodérision inattendue : Dis…ce sont des ours polaires, ou bipolaires mom? hehehe
Trêves de plaisanteries!
Il s’agit de mon 3e épisode dépressif et j'étais dans le déni pour les deux premiers. Le second, il y a 8 ans, m’avait conduite à l’hôpital, puis dans un centre de crise à cause d’idées suicidaires (oui, cette fois-là aussi. La souffrance intérieure était trop forte). J’ai quitté l’endroit après 24h, en me disant : non, pas moi, il est impossible que Wonder Woman se retrouve ici. Ma famille a besoin de moi, je dois être avec elle. J’avais à l’époque un rendez-vous chez le psychiatre…que j’ai fui comme une voleuse, en me demandant ce qu’il pourrait faire de plus pour m’aider. Ahhh l’erreur, je sais!! J’aurais pu savoir il y a 8 ans…mais tout arrive pour une raison, alors ce n’était pas encore le moment. J’avais un monde à sauver et tant de super pouvoirs!
Tout ce dont j’avais besoin, c’était une bonne dose d’antidépresseurs et 3 semaines plus tard, je partais à nouveau à la conquête d’emplois multiples. Oui, parce que toute ma vie, j’ai enchaîné les emplois et j’y suis restée entre 6 mois et 3 ans, parfois même de 1 à 3 semaines. Entre ces périodes, j’ai même décidé d’étudier en massothérapie, puis en ostéopathie, tout en travaillant à temps partiel et en remplissant mon rôle de maman (ok j’ai abandonné ces études durant un down, puis eu l'idée par la suite d'être recruteur, conseillère en orientation, et j'en passe). On me considérait, au travail, comme un réel bout en train, une femme hyper performante qui voyait tout et réalisait tout en même temps…ET plutôt directe et émotive, pour ne pas dire irritable et impatiente. Ouais. Je me suis toujours demandé ce qui clochait, pour quelle raison je ne trouvais pas ma place. Il m'est arrivé d'avoir des accès de colère inadéquats, dont je ne suis pas fière.
Vous ai-je dit que je suis avec mon conjoint depuis 25 ans? Il a enduré Wonder-montagne-russe-Woman tout ce temps. Wolverine peut aller se rassoir, c’est mon homme qui est fait d’Adamantium

Dans les 7 dernières années, donc suite à cet épisode, nous avons laissé notre région (jugé trop stressante, notamment pour moi) pour déménager en forêt, avons construit notre maison, perdu nos emplois, puis démarrer deux entreprises (j’avais des idées de grandeur, je travaillais la nuit et rien ne me faisait peur...Tazmanian Devil here I come). Puisque je pouvais encore en prendre, j’ai aidé des proches dans leurs propres entreprises, et nous nous sommes même mariés. Rien de trop beau.
En mai 2018, j’étais au top de ma forme et je prenais DÉJÀ des antidépresseurs depuis des années. C’est lorsque j’ai arrêté que tout s’est enclenché. Je m’étais pourtant remise en forme (la quarantaine!!), arrêté de fumer, changé mon alimentation, et écouté mon médecin (que je déteste) et qui au premier rendez-vous m’a dit : pourquoi des antidépresseurs? Vous allez bien? Il faut arrêter. Donc, j’ai cessé. Graduellement, mais j’y suis arrivée. Et là…LÀ… la dérape « toé ». En images, pensez à ce skieur qui prend une pente trop raide et qui fait l’étoile à répétition…skis, bras, tête, skis, bras, tête…ça ressemble pas mal à ça

Cette fois, J'AI demandé à rencontrer un psychiatre. J’avais l’impression de déjà vu et NON, je ne voulais pas revivre cette période. Lorsque j’ai rencontré le psychiatre, que j’ai compris que mon père que je connais très peu (on le disait « spécial » « malade ») a TOUS les symptômes de bipolarité et que je cadrais également, ma mâchoire est allée se cogner tellement fort au plancher qu’elle a défoncé les trois étages en-dessous.
Ma compagnie boîtait déjà parce que je n’arrivais plus à aller chercher de nouveaux clients (peur de rencontrer des gens et de ne pas être à la hauteur de leurs attentes) et j’avais trouvé un nouvel emploi pour arrondir les fins de mois. J’ai cru que les médicaments auraient des effets secondaires physiques…mais pas qu’ils joueraient sur mon mental…ce qui fût le cas. Résultat, compagnie à la dérive sur un radeau et démission de mon emploi afin de ne pas causer plus de tort.
Aujourd’hui, je suis l’ombre de moi-même. Je ne reconnais plus tout ce que j’ai accompli. Je m’arrête seulement à tout ce que je suis incapable d’accomplir, ne serait-ce que les tâches quotidiennes. Je suis emprisonnée non seulement chez moi, mais à l’intérieur de moi-même. Chaque jour est un combat. Lorsque j’ouvre les yeux, je ne sais pas si l’anxiété sera là à me paralyser, ou si j’arriverai à me lever. Tous les beaux discours sur l’optimisme me laissent de marbre. Ça fait mal bonyeux!! Lâchez-moi avec votre monde de licornes! J’arrivais à jongler avec du métal en fusion, et aujourd’hui, je ne sais pas si je passerai la journée sans avoir peur de tout, TOUT!
C’est en venant ici, en vous lisant, en voyant que vous partagez bien des moments similaires aux miens que je respire un peu mieux. Toutefois, je connais cette maladie depuis quelques mois à peine. Pour certains, cela fait plusieurs années et je vois que la souffrance est encore présente. Je ne sais pas comment vous faites. Je vous admire beaucoup. On dit que cela peut prendre de un à deux ans avant de stabiliser l’humeur. Je suis terrifiée à l’idée de ne pas pouvoir travailler à nouveau. Terrifiée à l’idée d’être un boulet et de ne servir à rien, alors que j’ai toujours porté les autres sur mes épaules. Je vous félicite d’avoir la force de traverser les tempêtes et de garder la tête hors de l’eau.
Au plaisir de vous lire et merci d’avoir pris le temps.