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Dr,
Vous m’aviez donné votre adresse pour que je vous envoie des documents l'an dernier. Je n’ai jamais pensé l’utiliser pour autre chose. Jusqu’à maintenant. Si c’est inapproprié je m’en excuse. Il y a des choses que je n’arrive pas à dire de vive voix. Je le fais probablement pour moi-même plus que pour vous.
Je ne me suis pas sentie capable d’être présente au dernier rdv. Je l’ai annulé.
Je suis sortie du rdv précédent en pleurs. Je ne me souviens pas m’être sentie si seule devant ma maladie depuis le début de mon suivi avec vous.
Pendant ce rdv, j’ai partagé des choses très difficile à dire, avec une ouverture que, même après 6 ans de suivi, j’ai de la difficulté à démonter. Je sais que ce que j’ai raconté n’avait rien d’exceptionnel pour vous parmi tout ce que vous entendez ou voyez au quotidien. Vous ne vous souvenez peut-être pas du contexte. Peu importe, pour moi c’était significatif et différent de ce que j’ai vécu avant.
J’ai mal avalé me faire dire que ce que j’ai fait lors du dernier high était relativement banal. Moins risqué que d’avoir fait une dépense extravagante (achat impulsif d’une maison ou auto). En fait, j’ai les moyens de faire des dépenses extravagantes sans risque réel, mais ce n’est probablement pas le cas de la majorité de vos patients. J’ai pris pendant ce dernier high des risques qui me font beaucoup plus peur que d'acheter un condo en plus de ma maison, et ce de façon impulsive pendant un high (ce que j’ai fait il y a quelques années

J’ai eu l’impression que les risques que j’ai pris mi-février en high ont été minimisés. Mais dans ces états maintenant, j’ai peur de moi. C’est ce que je cherchais à dire lors de ce rdv, probablement maladroitement. Ces highs n’ont plus rien à voir avec les audaces euphoriques insomniaques que j’ai déjà vécues, et adorées. Maintenant, mes pensées s’emballent, deviennent complètement irrationnelles, incontrôlables et surtout obsédées par une forme d’autodestruction, entremêlée parfois d’une euphorie décalée. C’est ce qui m’est arrivé en août (qui a mené à mon hospitalisation). Et en février. Et j’ai peur d’où va me mener le prochain…
J’ai peur. C’est ce que je cherchais à dire.
Depuis plusieurs années, j’ai en tête un seuil de ce que je me sens capable de vivre. Découlant en partie de ce que j’ai vu chez mon père. Plusieurs bipolaires l’ont sans doute. Je me suis tellement battue, longtemps, je me bats encore. Mais parfois j’ai l’impression d’être emportée par le courant et que ce courant devient plus fort, particulièrement depuis les cycles rapides de l’an dernier, et que rien n’arrive à le contrôler. J’ai peur, de moi.
J’ai de nombreuses fois fait confiance à un traitement pour ensuite être déçue. J’avais tellement espoir depuis fin novembre, qqs mois de stabilité puis cet épisode de février me ramène à la case départ. Du moins dans ma tête. J’aurais tellement eu besoin d’être rassurée lors du dernier rdv. Je parle, vous écoutez, m’observez surtout, mais on parle peu de ce que j’aurais besoin d’entendre. J’ai besoin de comprendre ce qui m’arrive, ce qui risque de m’arriver. J’ai beau avoir des connaissances dans le domaine, je n’ai aucune objectivité pour nommer mes états. Je suis simplement capable de décrire mon vécu, et souvent maladroitement.
J’avais besoin de l’écrire. Vous en ferai ce que vous voulez.
Pour le moment, j’ai besoin de voir ce que je peux gérer par moi-même avec les outils que vous m’avez donnés. Je crois avoir compris qu’il y aura encore des épisodes, qu’il y a une limite à ce que vous pouvez faire, que la médication peut faire. Que le reste repose sur moi. Sur mes ressources et mes limites.
Mais oui, je sais que vos services sont là si je me plante…